lundi 1 mars 2010

Rendez-vous manqué... vraiment?

Aujourd'hui Dimanche.

Encore un Dimanche
Cette journée est un anachronisme pour un métronome, comme tous les dimanche. Le temps que prend le temps est variable. Chaque dimanche, cette élasticité temporelle se reproduit.
La matinée passe comme un éclair.

Mangée par un bout par un sommeil qui s'étire et se ré-étire, se réitère : encore une demie heure, encore un quart d'heure, encore un peu, on se tourne et retourne sous les draps, à l'affût d'un peu moins de moiteur.
Une journée qui débute, mangée par le sommeil donc, et par l'autre bout par la nécessité d'aller à un déjeuner, ou un brunch, ou s'excuser de ne pas venir, ou encore faire un brin de marché.
Puis voici l'après-midi qui s'étend, indéfiniment, très lentement.
La digestion donne le ton, puis l'ennui si on le laisse s'installer vient scléroser toute velléité de bouger.
Alors, ce dimanche s’amorce, aujourd'hui, 28 février: trempé des bilans de la tempête encore assez vaguement expliqués par les journalistes, alourdi d'un dîner magistral de la veille, léger de l'amitié et de la générosité de cette soirée de samedi.
Pleine d’une énergie inespérée, je voulais retourner dans l'univers de l'expo Rodin et Matisse. Le dernier jour de cette proposition. Une dernière escale possible. L'abordage ultime.

Donc, je me lève très tard. Une douche, 3 cafés, 2 coups de fil après, me voici totalement sur pieds.
Je suis dans la bulle de mon domicile. Bulle de parquets XIXeme et de stuques, trés protégée. Les news arrivent de l’extérieur.
La catastrophe se précise et une fois de plus étend son ombre.
Les nouvelles sont mauvaises: la pluie, le vent, la tempête , des destins qui se sont arrêtés nets, des familles dévastées, des morts encore, des peurs, des pertes incomprises, inconcevables.
Je tourne le bouton de la radio.
Un CD. De la musique. M'échapper un peu de cette chappe.
Chet Baker.
Dépressif, élégant, intemporel, aussi suave que le désespoir s'est l'être, aussi souple et nuancé que la désillusion. De circonstance !
Donc me voici avec Chet, le souffle ample de son son, sa trompette toute en retenue, ses silences étranglés. Les temps, syncopes, demi-tons. Tout un nuancier.
Un nuancier qui me donne à choisir le ton de ce dimanche.
Je le choisis donc.
Je décide que ce dimanche sera gris acier, gris bleu avec des reflets lilas, et du vent, beaucoup de vent, et une odeur de source, de lac.
Deux œufs brouillés plus tard, ciboulette et cheddar.
Je sors enfin.
Ce dimanche est tel que je l'ai souhaité: gris, humide, irisé, venteux, des veines de soleil, une odeur de terre après la pluie.
Je prends un bus qui doit me déposer au champ de mars
Finalement, je descends plus tôt. J'ai besoin de marcher. Il me faut de l'air.
Je longe les invalides. Je m'arrête pour une photo d'un graffiti.
Amusant.
Cette citation m'est familière: "Le besoin de consolation de l'homme est impossible à rassasier". Stig Dagermann, suicidé, talentueux.
Une autre citation, plus longue à taguer, aurait été plus juste aujourd'hui: "Il n'existe pour moi qu'une seule consolation qui soit réelle, celle qui me dit que je suis un homme libre, un individu inviolable, un être souverain à l'intérieur de ses limites".
Ces pensées guident les déambulations qui me conduisent rue de Varenne.
Devant le musée, une longue file de personnes agacées, impatientes.
Une attente et une agitation faite de piétinements et de soupirs exaspérés, incompatibles avec le moment que je viens chercher.
Je tourne les talons. Je ne reste pas. Je repars immédiatement.
La plongée dans l'univers de Rodin et Matisse est finalement un échouage volontaire.
En effet, à quoi bon rester pour me retrouver après 30 ou 45 minutes, avec les mêmes, agacés et fermés, agglutinés et aveugles d'attendus devant ces bronzes, peintures, aquarelles, fusains et sanguines.
A quoi bon me retrouver à devoir entendre leurs commentaires, à les frôler, à les contourner scotchés à quelques centimètres de sculptures qu'ils asphyxient de blabla et de regards indécents.
Mon rendez-vous est manqué.
Je suis déçue.
Terriblement déçue, mais tellement soulagée d'avoir, pour moi, le souvenir de mes deux précédentes visites rue de Varenne, calmes, personnelles, confidentielles.
Heureuse d'avoir aussi le souvenir des visites des amis, de ceux qui ont gouté de cette exposition, sur mon incitation, à mon invitation. D'avoir aussi le regrêt de ceux qui n'y sont finalement pas allés, mais qui imaginent ce qu'aurait pu être ce rendez-vous manqué.
Déçue mais libre d'avoir renoncée au n'importenawak de la cohue, avide et sèche, sans aucune générosité, même pas celle d'être spontanée.

Je longe la Seine.
Orsay,
Quai Voltaire.
Je remonte vers Odéon. Le sénat.
Les jardins du Luxembourg sont fermés. Toujours les suites de la tempête. D'ailleurs en venant j'ai pu voir des vitres d'abris bus explosées, la cahute des gardiens de l'assemblée nationale couchée par terre, des cabines de téléphones détruites.
Je continue, des cheveux plein le visage.
Je retourne chez moi.
Un achat de deux DVD plus tard, et quelques courses. Me voici à nouveau dans ma bulle, pieds nus sur le parquet.
19 heures.
Et le temps du dimanche redevient contracté, condensé. Les minutes et les heures filent vite à nouveau.
Pour ralentir ce temps je reprends les livres que je me suis offerts la veille.
Amusante cette tentative pour infléchir l'écoulement du temps, celui des minutes, l’égrainage des secondes.
Je m'arrête sur "l'histoire de la laideur" d'Umberto Eco.
Je savoure...
Il est tard maintenant et le temps à nouveau s'étire.

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