Dimanche, fin de journée.
La chaleur est présente, enfin. A peine quelques traits de vent qui se faufilent.
La soirée promet une nuit pesante. Mais la nuit est encore loin.
Je remets en place mes moments de ces deux derniers jours.
Le week-end a commencé vendredi soir avec Cyrano, à la comédie française. Après Ubu Roi la semaine dernière, j'apprécie à nouveau cette jubilation de troupe, ce soin dans la mise en scène, le temps consacré aux détails, les jeux jusque dans les mouvements des mains, la souplesse des poignets perceptible du dernier balcon. Les chants également. La tradition des théâtres, des divertissements. Une institution vénérable, qui arrive tout de même à faire des pieds de nez malgré l'amidon des pourpoints.
Une soirée de péninsule, de pic.
Une soirée d'excès et de retenues. Les cadets de gascogne, les théâtreux grimés à l'outrage, l'opportunisme de Christian, l'exigeance égotiste de Roxanne, le renoncement frondeur et magistral de Cyrano, et l'ignorance de tous, nonnes, amis, guerriers de noblesse, maître queue cocu.
Une soirée splendide qui se continue au café de Nemours, comme elle y avait débuté d'ailleurs. Comme j'aime à m'y attarder. Le temps est maintenant aux discussions. La nuit est douce, à peine entamée. Balade pour rentrer.
Paris est un peu moite, splendide, enfin estivale.
Je fais don de la matinée de samedi à mon sommeil en retard.
La journée m'offre encore de beaux moments, de menus plaisirs. Préparer des cadeaux. Prendre l'air. Prendre aussi quelques photos. Etirer le temps, le révéler, s'y exposer. Un dîner entre amies. La terrasse éphémère devant le théâtre de l'Odéon.
Il fait vraiment chaud.
Les nuits sont plus longues que le sommeil. Mes sorties tardives n'y changent rien.
La fraîcheur et l'insomnie sont deux vieilles ennemies qui s'évitent. Quand la fraîcheur est là l'insomnie s'échappe. Quand la fraîcheur est absente, par contre, l'insomnie prend ses aises. Ce samedi, l'insomnie se pavane et se vautre, s'impose sans être invitée.
Dimanche.
Mouffetard a ses airs de galas, de ceux vantés par tous les tour-operators qui nous déversent leurs cars de touristes: "un marché typique, des musiciens, des danseurs qui valsent, javatent, tangotent, le tout tellement photogénique, qui vous laissera des souvenirs exceptionnels, authentiques... et tout le blabla baratineur qui allèche le touriste, émeut le photographe occasionnel et séduit les couples de touristes en mal de moments "so nice" immortalisables dans la plus romantique ville du monde... et ce, même ntre deux étales de poissons, une pyramide de poivrons et une bleuglante qui entonne "la vie en rose" avec une conviction qui n'arrive pas à gommer ses fausses notes.
Je me faufile.
Quelques courses.
La matinée est à peine amorcée. Il fait déjà lourd.
J'ai rendez-vous vers 13 heures.
Je me hâte pour rester décemment en retard.
J'y arrive tout juste.
L'anniversaire d'un ami magnifique. Autour de lui, de belles personnes.
Un déjeuner et un après-midi de ceux qui arrètent le temps, et laissent suspendus sur les lèvres les sourires qu'ils y ont fait naître.
J'ai de la chance. Je ne m'habitue pas.
Retour at home à l'heure où la lumière est rasante.
Je fais le tri de quelques photos en visionnant du coin de l'oeil un DVD. Peau d'Ane. Un achat spontané fait sur un sourire, un brin nostalgique. Le film a gardé toute sa magie. La fée des Lilas toute sa féminité. Deneuve sa beauté et sa photogénie évidente. Seyrig son intelligence et son charme modulé. Ce casting est superbe. Les subtilités de Demy restent intactes. Aucune mièvrerie. Un soupçon de kitch pour ajouter à l'illusion, pour éviter un réalisme banal qui limiterait l'imagination.
La délicatesse, la poésie, l'humour sont autant d'attentions. Aucune lourdeur dans ces invitations.
Je laisse de côté mes photos à trier.
J'ajuste le coussin sous ma nuque. M'allonge sur le cuir encore frais du canapé. Je me laisse embarquer par le film.
Une parenthèse s'ouvre. Se referme sur le générique de fin. Je me re-trouve posée sur le canapé, reposée, re-posée. J'étais loin.
L'ordinateur est en veille. Le tri des photos en plan.
"Enter".
Une photo reprend le plein écran.
Une série récente sur un bouquet de pivoines. Série faite un soir de cette semaine, quand, rentrant tardivement ce bouquet m'a arrêté. Ce devait être mercredi, certanement, après le début de cette vague de châleur.
Les pivoines étaient toutes à maturité.
A ce moment précis, ce moment juste avant de se disloquer. Epanouies au point ultime. Les pétales maintenant immenses encore splendides de fermeté, toujours délicates, de ces coloris si intenses au coeur s'évaporant en transparence à leurs bords, fragiles maintenant au point qu'un tremblement les fait tomber.
Je suis restée un moment à contempler ce bouquet, à apprécier ce moment précis. Cet annoncement de la fin.
J'ai tourné autour en prenant soin de ne pas troubler l'air, de ne pas heurter la table.
J'ai attrapé mon appareil, prudemment. Tenter de capturer cet instant. Attendre.
Puis, j'ai cessé d'attendre pour ne pas avoir à retrouver demain matin un tapis de pétales qui se serait étendu à la faveur de mon sommeil.
Alors, doucement... Comme on souffle sur des fleurs de pissenlits ou comme on déchire des lettres, j'ai donné un petit coup sur la table. Puis un autre. Et encore. Regardant les pétales tomber. Laissant le bouquet disparaître au rythme de ces petits tremblements.
La réalité est souvent plus présente quand on en force la fin.
Une nouvelle fois, aux détours de ces pétales, ce passage d'Alice qui s'invite dans mon esprit. Un passage qui me fascine de justesse: "et elle essaya d'imaginer à quoi ressemble la flamme d'une bougie une fois que la bougie est éteinte".
Les paraboles sont infinies, ces bougies sont innombrables, aussi personnelles que les imaginations qui les portent, que les souffles qui les mouchent.
Alors... de la fenêtre, un trait de vent presque frais... enfin !