dimanche 17 octobre 2010

le jour avant de partir...


Dimanche, fin d'après midi.
La journée est morne et s'étire difficilement vers minuit.
Pourtant, il y a quelques heures...
Un réveil finalement matinal après une soirée d'amitié pure, assez tardive. Au réveil, teint pas très frais. Cheveux vite attachés. Tirer fort sur l'élastic pour défripper les traits.
Juste un peu d'eau sur le visage et un voile de crème, histoire de sourire sans risquer se déchirer la peau. Superposer des couches de vêtements.
L'élégance parisienne sera pour demain... ou après-demain!
Nouer les lacets de ces baskets réputées transformer les jambes des quadra, même assez tapées, en guibolles de rêves réhaussées de fessiers superbes. Bon. Ce n'est pas la cata totale, mais je me dois de faire la part des choses. Les jambes de Marlène ou d'Helena Cristensen seront pour une autre.
Je noue mes lacets en renonçant à m'exhiber en guêpière, genre Ange Bleu.
J'espére juste avoir moins de courbatures que la dernière fois. Voeu somme toute raisonnable.
Je sors de chez moi dans un accoutrement improbable. Il fait très frais.
Mes poumons redessinent leurs contours. Mon haleine fait des voiles de buées.
Je me réveille totalement.
Je mets la musique à fond sur mon "baladeur". Un mélange iconoclaste de rock, de tango, de flamenco, de soul et de funk... il est heureux que je sois la seule à en profiter...
Je traverse l'avenue entre les mères de famille qui vont au marché, caddy à la main et nez un peu rougi, et quelques mal (mâles) rasés de tous âges qui, sous prétexte d'aller chercher les croissants, s'échappent eux aussi du domicile dit familial.
Ma direction: le jardin des plantes.
Me réveiller de bonne heure, et un dimanche matin de surcroît, a pour moi les mêmes effets que rentrer à l'aube en semaine, juste avant d'attaquer une journée de travail: un effet euphorisant. Quelque soit la fatigue, laisser de la place au sentiment assez magique de voler la vedette à la routine. Gagner du temps sur l'inutile. J'accepte sans broncher l'obligation, facile à assumer, de devoir en profiter, d'en goûter chacune des secondes.
Un vrai luxe.
Certe, pas le "luxe" d'avoir les yeux cernés, la joue molle et le teint frippé (ce que me renvoit chaque vitrine croisée sur mon parcours).
Mais, celui d'avoir la conscience d'être très privilégiée, de pouvoir savourer ce "temps en plus", sans contrainte, par plaisir.
Par plaisir... vite dit.
Je suis au jardin des plantes, à marcher avec ces baskets improbables.
Des engins high-tech, qui coûtent un bras, et ont la particularité de donner le sentiment de marcher sur des sandales japonaises. Des coussinets à la base des orteils déséquilibrent la marche. Du coup, pour ne pas tomber en avant, comme une loque, on ne roule pas totalement son pied en marchant. On s'arrête avant. On force sur le mollet, les cuisses et les fesses.
La suite est que:
première option - si vous êtes top modèle, vous prenez un billet de 100.000 et quelques en posant nue avec ces baskets pour une pub, ou
deuxième possibilité- si vous n'êtes que vous... vous avez des courbatures, une nouvelle paire de chaussures à caser dans le placard et 90 euros en moins.
Je ne suis pas top modèle et mon placard déborde de paires de chaussures plus ou moins étonnantes.
Presque 2 heures à marcher au jardin des plantes au rythme de ma play-list un brin déjantée.
La marche n'est pas très "courue" de ce côté-ci de l'atlantique. J'avoue également que le jardin des plantes a très peu à voir avec central park.
Donc, je me distingue au milieu des joggers aux foulées plus ou moins aériennes, aux bras plus ou moins ballants, aux tenues plus ou moins moulantes, mais assez systématiquement très peu flatteuses.
Le jardin, lui, est superbe.
En marchant, je peux profiter de chaque nuance, de chaque mouvement alentours.
Mon souffle n'est pas court. Je ne suis pas totalement centrée sur mon effort.
Je contracte mes abdos, le dos, et je maîtrise la position de mes côtes.
Je marche sans poids, mon point de gravité presque en apesanteur au fur et à mesure des foulées. Hormis cette concentration de posture, pour le reste, mon attention est totale.
Des enfants chamboulent les feuilles mortes à terre, à grands coups de traînements de pieds.
Des joggers "mâles urbains" essaient de garder un air "I'm so sexy with some effort", sans y réussir totalement. Des jeunes femmes convoquent à chacune de leurs foulées les foudres jalouses et vachardes de leurs contemporaines moins sveltes et légères. D'autres, les pieds lourds et la fesse arythmique, ne font que conforter, à chacun de leur pas, les fans de ce cher Winston, dont je suis... et me voici à expirer en les croisant des "no sport" embués mais puissants de conviction!
Ces 2 heures de marche matinale me font finalement un bien fou.
Je marche, je me gèle, je me moque, je me régale de la contemplation de ce jardin des plantes, si peu désuet finalement, et, je me courbature avec un plaisir avoué.
Puis, je rentre.
Je passe par le marché.
Quelques fruits et légumes.
Un saut chez le fromager.
Faire un crochet chez le caviste. Quelques nectars et autres bouteilles. Il me met en boite avec mon côté sportive du dimanche. Il a ma bénédiction et mon appui. J'en rajoute. Je suis assez réveillée et lucide pour me ficher de moi... la journée s'annonce prometteuse.
Retour à la maison.
Je tente d'éviter les voisins en rentrant. Inévitablement, sans succès. Et je supporte leurs regards narquois et sceptiques...
Je rentre dans ma grotte.
Midi.
Il est l'heure à laquelle je me levais il y a encore quelques temps, à laquelle je me lève parfois, moins souvent...
La journée déploie toutes ses promesses et je suis en éveil.
Je profite.
Dans 2 jours je pars loin. Au soleil.
Face à un océan qui, pour une fois, n'est pas l'atlantique.
Quasi deux semaines off.
Je laisse en pension, aux parisiens, le jardin du Luxembourg, le Palais royal et la terrasse du Nemours, le jardin des plantes, ses massifs, ses allées et ses verrières, la lumière rasante d'automne.
Je laisse le marché et ses maraîchers.
Je confie mon caviste, sa gouaille et ses vins plus ou moins souples, goûteux, fruités, etc.
Moi, je retrouverai tout cela plus tard.
Je serai alors plus calme. L'horizon sera plus loin dans mon regard. Mes gestes plus souples.
Enfin reposée.
Enfin, je l'espère.
Et alors, je serai forcément heureuse de retrouver tout ce que j'avoue laisser.
Et je retrouverai tout le reste, aussi, et ce que je tais.
Ce sera l'hiver.
Il fera vraiment froid. Les journées seront plus courtes. Noel s'annoncera, et je ferai comme si cela ne me minait pas.
Pour le moment, juste le jour qui suit.
Carpe Diem et protection solaire.
Dans la nuit, la veille du départ, je ferai la valise. Retrouver les maillots de bain. Ajouter quelques accessoires.
Croiser les doigts pour que les avions décollent et que je puisse accéder à l'aéroport.
Puis arriver après 12 heures de vol.
Profiter de la limpidité de l'eau, de l'air.
Profiter de chaque bout de soleil sur les épaules, sur le front, sur le dos.
Nager. Plonger. Plonger. Re plonger. Sombrer dans un sommeil, même intermittent.
Switch off.
Et revenir.
Alors, la peau gardant encore le toucher du soleil, remettre cet accoutrement improbable, ces baskets high tech, prendre le chemin du jardin des plantes.
Marcher très concentrée.
Alors...
Alors, je m'arrêterai, certainement, un drôle de sourire aux lèvres, dans la buée de mon haleine. Alors je m'arrêterai, certainement, devant le carroussel, le "Dodo Manège". Devant ses Dodos, ses éléphants. Il n'y aura plus de feuilles mortes à chambouler en courant.
Et je reprendrai ma marche. Incongrue au milieu des joggers.
Et je retournerai me faire vanner par mon caviste, acheter des fruits, et attendre qu'un autre dimanche se termine dans mon canapé, au creux d'une autre fin de semaine.
Mais alors, j'attendrai qu'un autre dimanche se termine dans mon canapé, au creux d'une autre fin de semaine... mais, alors, j'attendrai en débronzant doucement, le plus doucement possible.