Après une journée étrange, la soirée se voulait utile, un brin fastidieuse: mettre un peu d'ordre dans les répertoires de photos, nettoyer les copies, supprimer les loupés les plus évidents.
Bien évidemment l'anecdote réminiscente a supplanté tous les efforts (plutôt faibles) d'efficacité bibliothécaire ... Le classement et le nettoyage seront pour après-demain.
Au hasard des fichiers sans nom, DSC02174 etc, le regard scrutant les miniatures, je reconnais une série faite au musée Rodin, il y a quelques semaines, et j'en retiens une: Minotaure et nymphe.
Ce bronze ne m'était pas inconnu.
Je l'avais découvert d'une étrange façon, filmé, évoqué, incarné. Le plaisir supplémentaire est que ce souvenir m'a ramené à mon escapade à NYC. Et c'est ... un plaisir supplémentaire.
C'était au new museum, un lieu genre conceptualo conceptuel, créatif, étonnant, néanmoins accueillant.
Ce film était projeté dans une salle obscure, au sol couvert de gros coussins... (là c'est le côté conceptualo-pas-arthritique). Le film est projeté en boucle. J'en ai fait plus d'une, de boucle.
C'est un film 16mm de Daria Martin.
Lui, âgé, l'allure d'un vieil espagnol. Elegant, dominateur, plus esthète que fougueux, avec la force d'airain de ceux qui connaissent la suite. Elle, très fine, presque juvénile mais d'une sensualité de 1000 ans, joueuse, provocante mais disciplinée.
La chorégraphie, moderne, dépouillée est parfaitement capturée par la caméra. Chaque espace entre ces 2 corps est aussi de la danse.
Le ballet a été conçu par Anna Halprin, que je ne connaissais pas, pas plus que Daria Martin, pas plus que ce bronze précisément.
Et pourtant il y eut une évidence.
Je me souviens également dans ce film d'une séquence.
Vers la fin.
Il me semble que c'était dans un jardin. Une idée de vent.
Une vieille femme caresse un livre de photos avec celle de ce bronze. Une vieille femme avec un regard de nymphe. Les mains tâchées et veinées, mais toujours sensibles. La pulpe asséchée de ses doigts trouve chaque détail du grain de cette photo comme celui d'une peau. Elle trouve le pouls du minotaure, la nervosité de la nymphe, l'abandon et la lutte harmonieuse de ces deux forces qui s'éreintent.
Ce moment avait été magique, évocateur des mythes, du souffle du vieux continent
D'autres choses aussi.
Un instant splendide de mouvements, d'espace vibrant, de liberté de voir, d'imaginer.
Puis me voici, il y a quelques semaines, rue de Varenne, au bénéfice de l'exposition Matisse Rodin. Un passage obligé par les jardins, saluer les bourgeois, saisir le même malaise face aux portes de l'enfer. Et, déambuler dans l'hôtel particulier autour de la collection permanente.
Et, ce bronze auquel je ne pensais plus.
Petit.
Placé un peu trop bas pour vraiment en saisir la puissance. Celle de ces mains agrippées entre les cuisses de la nymphe. Celle d'une autre main effleurant à peine un bras.
C'est une générosité immense, que celle de ces artistes. J'ai la chance qu'ils m'aient guidée. Que je n'ai pas ignoré ce bronze.
Je remettrai encore souvent à après-demain la suite de ce classement.
Détrompez-vous: Je n'évite pas, je savoure.
C'est certainement la raison pour laquelle je repousse également, sans vraiment de raisons objectives, l'ouverture des cartons de livres restés intacts depuis l'emménagement.
Des cartons de pandore, mais moins dramatiques. Des cartons comme des pochettes surprise. Comme des albums. Des parenthèses, remplies d'impressions et de guirlande de points de suspension.
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J'y retrouverai Phèdre et les tortures de ce cher Jean Racine: " c'est vénus tout entière à sa proie attachée".
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