Que dire de ces jours qui se succèdent.
Un jour soleil éclatant et chaleur enveloppante, un jour moiteur poisseuse et assommante, un jour déluge et ciel sombre, un jour orages et tonnerres, un jour atone qui s'achève sur une splendide lumière rasante.
Si ce n'est leur succession erratique, ces jours n'ont aucune nouveauté. Nous les connaissons tous, et si nous ne les avons pas encore expérimentés, on les devine. On sait imaginer leurs frayeurs, leurs peurs, leurs joies.
Du déjà appréhendé. Juste le menu qui est cul par dessus tête. Juste nous, en convives avides de maîtrise, et plus uniquement juste avides.
Et au milieu de cela, il y a des jours inédits.
Et au milieu de cela, il y a des jours inédits.
Des moments sidérants.
On renoue avec un sentiment de liberté qui ne correspond à aucune volonté d'échapper. Une liberté pure: savourer des moments neufs.
On se retrouve étonné soi-même d'avoir laissé la place à des moments qui ne se définissent ni en référence, ni par défaut.
On se retrouve étourdi, presque abasourdi d'avoir laissé l'inattendu prendre place.
On se retrouve étourdi, presque abasourdi d'avoir laissé l'inattendu prendre place.
Déstabilisé.
A cent lieues des calculs et volontés, à cent lieues des mises en scène aussi plaisantes qu'elles soient (et soie).
On se retrouve faire face à des moments d'exception comme celui de retrouver le goût de l'eau.
On se retrouve faire face à des moments d'exception comme celui de retrouver le goût de l'eau.
Se retrouver surpris.
Un goût qui cascade et navigue, des papilles qu'elle a noyées, du dessous de la langue sur laquelle elle roule, de l'intérieur des joues qu'elle habille. Un goût qui irradie dans l'ensemble du corps, et l'esprit. Une certaine fraîcheur, du calme, une énergie sidérante.
Retrouver le goût de l'eau.
Ce serait comme retrouver les rires spontanés, les regards clairs.
Ce serait comme échapper à nos intuitions, à nos raisonnements, à ce que l'on sait déjà devoir attendre ou craindre, ce que l'on espère. Ce serait comme ne plus rien savoir.
Ce serait comme échapper à nos intuitions, à nos raisonnements, à ce que l'on sait déjà devoir attendre ou craindre, ce que l'on espère. Ce serait comme ne plus rien savoir.
Le goût de l'eau.
Un goût étranger à nos sphères habituelles, raisonnées ou instinctives, raffinées ou primales, solitaires ou collectives, communes ou transgressives.
Un goût étranger à nos sphères habituelles, raisonnées ou instinctives, raffinées ou primales, solitaires ou collectives, communes ou transgressives.
On peut dire que l'eau n'a pas de goût. Qu'il n'y a pas plus commun. Que l'on en boit tous les jours.
On peut réfléchir... trop.
Se dire que l'on ne peut pas oublier un goût qui n'en a pas, donc on ne peut pas le retrouver.
On peut trouver mille autres goûts plus raffinés, plus subtiles: celui du vin, des fruits rouges, celui des épices, celui des larmes, celui du sang, celui des échanges emmêlés, celui du miel, celui du pain et des olives noires, celui du sel qui craque.
On peut trouver mille façons de disserter.
Et puis, quand on ne l'attend pas, l'eau éclate en bouche, se disperse en éclats.
On reprend un B, A, BA.
On tremble sur ses jambes, on revisite des chemins mille fois dévalés.
Et on se retrouve surpris. Fourbu. Une lumière au creux du poing. Une trace de peau sous les doigts.
Et on se tait.
Et revient et s'impose une photo de Willy Ronis.
Dans un mas délabré, en provence. Un après-midi de torpeur.
En passant devant la chambre, il aperçoit sa femme qui se rafraîchit après la sieste. Un broc d'eau tiède mais plus fraîche que l'air qui stagne et s'étend en étole sur ses épaules, couvre ses hanches.
Aucune impudeur dans cette nudité offerte.
Il la redécouvre dans cet instant. Il retrouve sa spontanéité, son oeil clair. Et il capte chaque sursaut sur son épiderme, chaque frisson érectile, chaque repli emprisonnant la sueur, toutes ses odeurs, du sel au sucre. Il impressionne la pellicule avec une émotion furtive.
J'aime énormément cette photographie et son histoire.
J'aime encore plus la comprendre mieux maintenant.
Et je me tais.