mercredi 14 juillet 2010

le goût de l'eau


Que dire de ces jours qui se succèdent.

Un jour soleil éclatant et chaleur enveloppante, un jour moiteur poisseuse et assommante, un jour déluge et ciel sombre, un jour orages et tonnerres, un jour atone qui s'achève sur une splendide lumière rasante.
Si ce n'est leur succession erratique, ces jours n'ont aucune nouveauté. Nous les connaissons tous, et si nous ne les avons pas encore expérimentés, on les devine. On sait imaginer leurs frayeurs, leurs peurs, leurs joies.

Du déjà appréhendé. Juste le menu qui est cul par dessus tête. Juste nous, en convives avides de maîtrise, et plus uniquement juste avides.
Et au milieu de cela, il y a des jours inédits.
Des moments sidérants.

On renoue avec un sentiment de liberté qui ne correspond à aucune volonté d'échapper. Une liberté pure: savourer des moments neufs.
On se retrouve étonné soi-même d'avoir laissé la place à des moments qui ne se définissent ni en référence, ni par défaut.
On se retrouve étourdi, presque abasourdi d'avoir laissé l'inattendu prendre place.
Déstabilisé.
A cent lieues des calculs et volontés, à cent lieues des mises en scène aussi plaisantes qu'elles soient (et soie).
On se retrouve faire face à des moments d'exception comme celui de retrouver le goût de l'eau.
Se retrouver surpris.
Un goût qui cascade et navigue, des papilles qu'elle a noyées, du dessous de la langue sur laquelle elle roule, de l'intérieur des joues qu'elle habille. Un goût qui irradie dans l'ensemble du corps, et l'esprit. Une certaine fraîcheur, du calme, une énergie sidérante.

Retrouver le goût de l'eau.
Ce serait comme retrouver les rires spontanés, les regards clairs.
Ce serait comme échapper à nos intuitions, à nos raisonnements, à ce que l'on sait déjà devoir attendre ou craindre, ce que l'on espère. Ce serait comme ne plus rien savoir.
Le goût de l'eau.
Un goût étranger à nos sphères habituelles, raisonnées ou instinctives, raffinées ou primales, solitaires ou collectives, communes ou transgressives.

On peut dire que l'eau n'a pas de goût. Qu'il n'y a pas plus commun. Que l'on en boit tous les jours.
On peut réfléchir... trop.
Se dire que l'on ne peut pas oublier un goût qui n'en a pas, donc on ne peut pas le retrouver.
On peut trouver mille autres goûts plus raffinés, plus subtiles: celui du vin, des fruits rouges, celui des épices, celui des larmes, celui du sang, celui des échanges emmêlés, celui du miel, celui du pain et des olives noires, celui du sel qui craque.
On peut trouver mille façons de disserter.

Et puis, quand on ne l'attend pas, l'eau éclate en bouche, se disperse en éclats.
On reprend un B, A, BA.
On tremble sur ses jambes, on revisite des chemins mille fois dévalés.
Et on se retrouve surpris. Fourbu. Une lumière au creux du poing. Une trace de peau sous les doigts.
Et on se tait.
Et revient et s'impose une photo de Willy Ronis.

Dans un mas délabré, en provence. Un après-midi de torpeur.
En passant devant la chambre, il aperçoit sa femme qui se rafraîchit après la sieste. Un broc d'eau tiède mais plus fraîche que l'air qui stagne et s'étend en étole sur ses épaules, couvre ses hanches.
Aucune impudeur dans cette nudité offerte.
Il la redécouvre dans cet instant. Il retrouve sa spontanéité, son oeil clair. Et il capte chaque sursaut sur son épiderme, chaque frisson érectile, chaque repli emprisonnant la sueur, toutes ses odeurs, du sel au sucre. Il impressionne la pellicule avec une émotion furtive.

J'aime énormément cette photographie et son histoire.
J'aime encore plus la comprendre mieux maintenant.
Et je me tais.

lundi 5 juillet 2010

léthargie en ut majeur


Dimanche, toujours pas sommeil. Il fait chaud.
Des vagues moites succèdent aux rares courants d'air. Le temps est à l'orage.
Pourtant, toutes les fenêtres sont ouvertes. Les portes sont bloquées par des cales pour m'éviter de sursauter. Un bouquet d'Arum noirs et de freesia blancs sur la table basse, un autre de feuillages, cassis, buis et philodendron sur la cheminée, et un petit avec juste un arum et un freesia à côté, voici les seules touches de fraîcheurs dans l'appartement.
Je me dissous dans cette moiteur.

Est-il raisonnable de prendre une troisième douche?
Je me contente d'eau froide sur les poignets et sur les pieds.
Paris serait parfaite avec des alysées. Mais la Seine manque de sel, les platanes de noix, le ciel d'Ortolans, les ballons des zincs de lime, et les au revoir parisiens de "à la grace de dieu".

Donnez moi un hamac et un peu de vent, et je dors ... ou me réveille complètement!
J'hésite à sortir faire un tour dans les rues.
Il doit faire meilleur dehors.
1 heure passée. Ce ne serait pas raisonnable. Mais il faudrait surtout que je remette mes chaussures, un autre Tshirt , un coup de peigne dans le nimportenawak qui choucroute sur mon minois miné.
Je renonce.

Alors je reste là, fenêtres ouvertes, de vagues feuilletons américains en fonds sonore et unique source lumineuse avec l'écran du portable.
Ces soirs d'été sont étonnants.
Les immeubles parisiens, fenêtres béantes ou entre ouvertes, reprennent un peu d'humanité.
Un peu trop.

Une table qui se débarasse, des bruits d'assiettes qui s'entre choquent, des conversations qui s'animent et meurent, des enfants qui pleurent, des musiques qui se superposent, des amis qui se quittent, des couples qui se retrouvent et s'oublient... et oublient que les fenêtres sont ouvertes.
Il semble que la chaleur ait un effet détonnant sur les cordes vocales de l'amante épisodique du ténébreux du 2e droite.
Cela fait plusieurs fois que j'hésite à leur laisser une bouteille de champagne sur leur paillasson, pour honorer le dieu des décibels orgasmiques, et calmer mes réveils en sursauts au hurlement marquant la première joute de ce cher voisin.
Voici de ces surprises des étés et des fenêtres ouvertes.
On se dit à peine bonjour quand on se croise dans le hell, mais on partage nos ébats, la bande sonore tout au moins.
(nb: je garde la faute de frappe du hall - pour ce joli lapsus remarqué par EL)
Pour autant, cela ne me le rend pas plus sympathique le grand ténébreux du 2e droite.
Il ne faudrait pas que par sa faute je sois insomniaque confirmée et en plus très indiscrète!
Demain va être une longue journée.
Je promets mon regard le plus noir au premier (ou première) qui fera une remarque sur l'ombre de mes cernes, mes baillements étouffés, mon manque de peps.
Et demain est justement une journée à qui je dois d'être vive, alerte et aiguisée!
L'avantage quand on n'a pas le choix, c'est que l'on économise l'énergie des prises de tête, tergiversations, et autres cogitations solitaires et stériles.
Donc demain je dois et je serai vive, alerte et aiguisée.

It's time to sleep,
it's time to slip, to tomorrow
perhaps !

Alors je repense au film quand Harry rencontre Sally. Je repense à mes déjeuners hivernaux chez Katz (silencieux).
Je me souviens de la tête de Meg Ryan sans silicone ni botox.
Je pense à tout cela et espère que mon voisin ne pense à rien, juste à dormir, et préserver ses tympans d'un destin funeste que je lui prédis très proche.
J'enfile un Tshirt, un jean et des ballerines.
Je sors prendre l'air, attraper un coup de lune, entrer dans demain.
Et au retour, certainement je dormirai.

See You!