lundi 26 avril 2010

A la manière de ...

J'étais aux arènes de Lutèce, côté ombre.

Mon carnet de notes au fonds du sac, entre un paquet de mouchoirs en papier, plusieurs stylos, un portefeuille, un appareil photo, le monde, un bouquin de nouvelles, un étui de lunettes, un vaporisateur, et diverses autres choses.
J'étais aux arènes, sans toros ni musique, très loin de mes plazas du sud ouest.
Loin du sable, de ces combats et stratégies qui n'ont d'autres recours que le courage, l'intelligence et la force.

J'étais aux arènes de Lutèce, tranquille.

Il fait chaud par moments. Le temps est un peu couvert. Parfois les lumières d'été pointent sous un printemps qui s'affirme.
Je fredonne dans ma tête. A river with no return.
Rien ne contrarie mon air dans ma tête. Ni le bruit sourd des ballons de foot sur les murs. Ni le choc métallique des boules de pétanque. Ni le tremblement effarant des shoots sur les grillages.
Hormis ce tissage de bruits, tout est calme. Trop.

Alors, dans cet environnement paisible, une idée me vient.
"Moon river" succède à " A river with no return".
Dans mes fredonnements muets, un enchaînement de chansons qui a tout du cadavre exquis.

Et puisqu'il s'agit de cadavres exquis, me vient l'idée de noter dans mon carnet, celui-là même qui est au fonds du sac, de noter un chapitre d'un journal intime qui ne serait pas le mien.
Une sorte de "à la manière de....".

Et tant qu'à ce que mon imagination soit le nègre imposé d'un autre, autant que ce nègre soit au service d'une blonde.
Alors ne vous affolez pas tout à fait Les pensées, les mots qui vont suivre sont de mes doigts, certes, mais ne m'appartiennent pas vraiment.
Et tant qu'à choisir une blonde pour faire le nègre, autant que ce soit la plus solaire de toutes, la plus sombre de toutes.
Voila ce vers quoi m'a conduit de chantonner "no return, no return, no return..."

J'ouvre les guillemets.



Cet après-midi est calme. Pourtant je ne le suis pas.
Je bourdonne. Il faudrait que je trouve ce qui provoque en moi ces accès de doutes, de colères. Ce qui nourrit cette énergie que je ne canalise pas et qui me ronge. Ces accès sont difficiles à surmonter. Il n'est question ni d'angoisse, ni de tristesse. Juste un sentiment diffus, une aspiration irrépressible vers le vide, vers la nouveauté, vers une forme de danger quel qu'il soit.

Il me faudra arriver à utiliser ce sentiment. Ces moments doivent pouvoir me servir. Ils ne sont pas là pour rien, pas là pour me blesser uniquement. Je dois apprendre à les utiliser. Ils doivent m'aider à nourrir mes rôles au lieu de me ronger.
Ceci m'évitera de contourner ces sentiments comme on essaie d'évincer un danger pourtant imminent.
Mais, à contourner un feu, on se brûle tout autant. Plus lentement certes, mais tout aussi surement.

J'ai commencé très jeune par des photos. Elles ne m'ont pas permis de voir ce qui manquait. Mes manques n'impressionnent pas la pellicule tout au contraire Mes failles font ma photogénie exceptionnelle. Mon image est parfaite, si loin de ce que je suis. Ma détresse se dilue sous les spotlights. Me voir sur écran ou sur photo ne m'apprend rien de moi.

Je n'ai rien trouvé qui me permette de combler ce vide, ce vertige qui pave mes pas.
Ni la nourriture, ni l'alcool, ni les anti dépresseurs, pas même le sexe.
On me juge mal.
On me dit boulimique, imbibée de champagne, droguée, nymphomane.
Je ne suis rien de cela.
Tout cela me dégouterait si je n'y trouvais un peu de répit.
Je ne suis pas stupide. Je sais que rien de ce qui me soulage n'est la solution. C'est par moi et de moi que je dois combler ce gouffre, nourrir cette énergie néfaste, la repaître pour qu'elle se calme à nouveau.
J'aimerai l'apprivoiser aussi facilement que je le fais avec Joe, Arthur, Francky, John, et d'autres.
Je vais encore un temps jouer de mon image comme si c'était moi. Je pourrai encore, un peu, donner le change, outrer le masque.
C'est si facile.
Je vais encore jouer ce jeu. Il est plaisant, plus agréable que de m'affronter, moi-même.
Il est rassurant comme un filet sous les trapézistes, un garde-fou en bronze forgé, un air bag en soie.
Mon masque est exceptionnellement photogénique.

Un nuage de poudre de riz sur une plaie.
De l'eye liner comme deux berges sur des yeux qui dérivent de plus en plus visiblement.

Cet état de dérive, cette danse au bord des falaises, me sont familiers depuis très longtemps. Depuis toujours.
Depuis mes élans sans échos dans une enfance solitaire. Depuis ces années d'adolescence brouillées par des besoins d'affection et de confiance sans mesure, brouillées par un corps et une liberté qui créaient plus de désirs qu'ils n'avaient d'attentes de ma part.
Cet état de dérive m'accompagne depuis longtemps, et me précède aussi. Il nourrit mes réflexions et mes doutes.
Il a muri avec moi, tout comme il a grandi. Mais, à ma différence, il est resté le même, il ne s'est pas travesti. Intègre, il alimente ma quête d'absolu, de perfection, de sublime. Il reste mon repère le plus personnel.

Il semblerait que je sois une icône, un mythe.
Je ne suis qu'un vide, une abîme, abimée.
Je ne me construis que par mon frottement, par ma soumission à mes contraires.
Je me considère comme une "rien", et je m'impose: la perfection de l'image du père avec Clark Gable, celle du mari possessif et protecteur avec di Maggio, celle du souffre avec Sinatra, celle du pouvoir avec JFK. Celle de l'intelligence avec Miller, celle du mentor avec Strasberg, celle de ma vacuité avec mes amants de passage, anonymes, nombreux.
Je construis ma place parmi les autres à force de retards, de caprices, grace à leurs réactions tranchées, passionnées, révoltées, si possible violentes.

Je provoque ces réactions.
Je les maîtrise avec science, avec une intelligence extrême, un instinct rare.
Je façonne ces reflets de moi-même avec le même soin, la même concentration que celle que je déploie pour me coiffer, me maquiller, contrôler chaque onde de ma démarche, chaque mouvement de cils, chaque ingénuité de mon regard, chaque reflets de lumière sur mes épaules.
Une boule de controle encapsulant un vide qui se creuse toujours et encore.
Un vide aux parois de sable.

Je suis fragile. Je ne suis pas bête.
Je suis pour beaucoup la blonde qui passe en tanguant. Mais ils oublient que c'est moi qui aie pensé à casser un de mes talons pour forcer la démarche, pour flirter avec le ridicule, dans cette première apparition avec les marx brothers.
Ils oublient que je suis moi même mon propre marionnettiste.
Ils oublient. Dans leur ignorance, ils pensent savoir.

Alors, j'essaie d'oublier que je sais que ma tentation de maîtrise m'accompagnera jusqu'au bout de ma route.
Jusqu'au dernier cachet. La dernière gorgée pour les avaler. La dernière larme.
Je sais que je me soumettrai une fois de plus, une fois de trop, à leurs désirs. Je leur ferai la politesse de m'éclipser.

Alors, aussi surement que ceux que je voulais m'aimer m'oublieront. Ceux qui m'aimaient feront de leurs souvenirs le sens de la vie que j'aurai râtée pour moi-même.

... Voila, je ferme les guillemets sur ce billet "à la manière de...".

Toute ressemblance etc etc etc.

Je ne peux que vous conseiller Blonde de Oates, et rigoureusement toutes les photos de Marylin. Sur ce, je vais troquer Dzongkha contre chanel numéro 5 et aller me reposer en chantonnant no return.

samedi 24 avril 2010

Les moiteurs de mon front blème


Un verre de campari, noyé de glaces. Un bouquet de tulipes et d'hortensias. Un sms impromptu, un disque qui s'attarde, un air d'opéra: La Wally. Un ami trop occupé à retrouver sa meute, un après-midi au soleil. Il n'en faut pas plus pour que les idées qui trainaient saisissent ce moment, et se déploient à leur rythme.

Changement de registre, je passe de l'Opéra au jazz.

Il y a un an presque jour pour jour je revenais de ma parenthèse new yorkaise. Il y a un an presque jour pour jour je m'obligeais à renouer avec cette vie parisienne.

Il y a un an, nous dirons jour pour jour, je savais que je m'étais enfuie. Je l'assume toujours.

Il y a un an , nous dirons jour pour jour, je savais déjà que j'avais bénéficié d'une chance privilégiée, de rencontres précieuses. Y compris celle avec moi même.
Il y a un an, je revenais et me prenais une baffe magistrale.
Je change de registre et passe du jazz au tango.

Je me retrouvais ici même, heureuse d'être revenue, déçue de mes retrouvailles.
Je n'étais plus de Paris.
Cette ville ne me séduisait plus, ses habitants que choquaient, je n'avais plus mes marques, plus d'émotions, rien qui ne m'accroche. Le manque de respect général, l'agressivité latente, m'ont heurtée.
Je savais depuis longtemps être nostalgique parfois, mais là, je devais apprendre à composer avec des regrêts. Un apprentissage que je ne revendique pas, que je m'emploie à oublier.
Je me suis ingéniée à passer outre.
Je me suis employée à garder l'énergie et l'optimisme qui m'avaient portée loin de mes gouffres quand j'étais oversea.
J'ai fait ma vestale consciencieuse et j'ai entretenue la flamme.
Maintenant, je suis à nouveau parisienne, enfin un peu plus.

Demain, Dimanche, je me lèverai plus tôt.
J'irai au Luxembourg regarder de loin les Taï Chi, au ralenti, chorégraphiant lentement, dessinant avec science, dans le ciel du matin, ce que sera peut être cette journée et les suivantes.
Je m'arrêterai, suspendue.
Puis, je reprendrai mon chemin.
Il fera encore frais.
J'hésiterai et certainement choisirai de prendre un thé dans un café. Un peu de lait s'il vous plait.
Merci. Le serveur sera peu désagréable.
Je fuirai dans l'imagination, surfant sur les vies des passants que je regarderai à la sauvette, sur les bribes des conversations des tables d'à côté que je saisirai sans effort, sur les parfums qui viendront à ma rencontre.
Le thé sera trop chaud. Le lait froid.
Ce jour m'offrira une matinée à m'oublier. Une matinée à s'oublier et le savoir.
Ensuite je me ré-amarrerai au flow des parisiens.
Je leur chercherai des faux airs d'ailleurs. Je me dirai que ça ne le fait pas. Je me dirai que je le savais d'avance.
Alors, demain sortira de ma semie maîtrise et de mes attentes et m'offrira ses reliefs les moins communs.

Demain sera frais, vif, acide et réconfortant.
Je changerai de registre et passerai du tango au rapp.
Du rapp au fado.
Du fado au silence.
Du silence au bruit de la ville.

Paris alors se dévoilera. Aussi belle que dans mes souvenirs.
Aussi attractive que ces autres villes dans lesquelles mes jours ont été riches. Mais différente, et neuve, et particulière.

Ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre...,
Cher Paul, votre rêve familier éveille bien des échos.

Et pour sa voix, lointaine, et calme, et grave,
elle a l'inflexion des voix chères qui se sont tues.
Cher Verlaine, votre rêve familier est un bel échos.

dimanche 18 avril 2010

fly me to the moon


C'était un superbe samedi, un splendide dimanche, de ceux qui marquent une transition.
L'hiver nous a fait un au revoir plein de tact, tout entier dédié à son successeur: mister springtime, himself!

Un hiver qui s'efface avec classe.
Le soleil est juste chaud, l'air est doux.

Les parcs sont pleins de promeneurs, les chaises du Luxemboug sont toutes garnies d'alanguis de tous types, de types en tout genre, les quais de Seine livrent leurs pavés et bancs aux plus dénudés des parisiens. Mon répondeur a des messages que j'affectionne. Les jours à venir sont empreints de promesses, je me résigne aux belles surprises. Springtime, isn't it?

Donc, je promenais mes yeux encore vifs, mes cernes abysales, mon teint de terre, mon humeur légère et mes kilos hivernaux en trop, aux détours de mes balades favorites, tout nouvellement auréolées de ce soleil franc.
Donc, je promenais mes idées en l'air comme on fait flotter son appât, comme on simulerait la mouche au bout de son fouet.
La seine a des allures de torrents. Mes Repetto sont pourtant très éloignées des cuissardes vertes des pêcheurs à la mouche.
Certainement mon envie d'ailleurs qui se réveille. L'envie d'autres odeurs: celle de l'eau vive, celle des torrents et des lacs. Une envie d'eau douce.
Cette envie qui revient et me taraude avec une belle régularité, est cette fois-ci très différente de mes ressourcements usuels. Généralement c'est vers l'océan qu'elle me porte à cette époque. Ils sont loin en effet l'atlantique, la côte sauvage, les pins, les ajoncs, les orgies d'huitres, le vent qui gifle, un verre de pinault, le chemin des douaniers, les chênes verts couchés à force de vent, le pont du diable, les vagues qui s'éclatent en tumulte.

Cette année, mon esprit a trouvé un point d'équilibre inespéré entre l'eau douce et l'atlantique.

Paris m'offre un ersatz de fraicheur et de vie affleurantes, comme des poissons aux détours d'une roche. Chaque reflet est un signe.
Paris m'offre un souffle. Et même s'il ne me l'offre, je le découvre et le respire pleinement.

Je savoure chaque nuance des feuillages, chaque clarté des couleurs, chaque fossette des sourires anonymes, chaque rire, chaque musique. Il me semble percevoir mieux.
Mon pas est plus léger.
Mon esprit s'échappe.
Des airs prennent le pas de mes pensées.

Fly me to the moon.
Je fredonne pour moi ... to jupiter and mars.
Je trébuche sur un pavé. Je garde le tempo de cette mélodie superbe... in other words... dam dom you. C'est pas dam dom... non, c'est I'm in love with you, in other words...
Mes pensées se kaléidoscopent. Le "You" de la chanson devient une mosaïque dans laquelle joue le soleil. Une espèce de portrait étrange fait de morceaux choisis, agencés sans logique, qui ne ressemble plus à rien ou personne. Ce "You" n'a gardé des souvenirs que leur lumière.

Dans cette apesanteur quasi psychélique, surgit le Louvres où m'ont guidée mes pas.
Je sors de l'empreinte de the voice, j'oublie un temps la mosaïque, je sors de l'onde fade et claire du torrent, je me dégangue de la coque de sel des embruns.
Me revoici parfaite parisienne.
Les torrents sont loin, l'océan est retiré.
Je mange le rouge de mes lèvres, je les mords, je prends une pleine goulée de cet air de Paris.
Je profite juste et pleinement de ce moment, pour ce qu'il est.
Je suis juste à Paris.
Cette journée est splendide, magistrale.
De mes envies de départ, je ne concerverai aujourd'hui que Sinatra comme escorte à cette rencontre avec le printemps.
Fly me to the moon.
Je suis un peu à l'étroit.
Je sais que je repartirai bientôt, d'une façon ou d'une autre. Moins loin que Jupiter ou Mars.
Voici bientôt un an que je suis rentrée. Je suis magnifiquement bien ici. Mais, mais ... un peu d'espace me manque!
Il faut savoir pouvoir partir pour apprécier de rester ou revenir. Savoir que l'on peut. Au moins cela.
Sacrés révélateurs ces changements de saisons, indeed...
Mais je suis bien là, plantée cour carrée du Louvres, dans un rai de soleil, immobile.
Mais je suis bien là, dans cette lumière, diffuse.
Je suis là dans cette lumière qui fait perdre les reliefs.
Dans mon sac, quelques achats.
Parmi des futilités, un DVD coffret, mon Kdo de ce wek end: Let's get lost, un film splendide sur Chet baker.
J'ai vu ce trésor il y a quelques années dans une petite salle de ciné de saint germain of the près.
Je le regarderai plus tard, au retour de Jupiter, ou de Mars.

vendredi 16 avril 2010

devinette...


Je suis dans les méandres d'une forêt de mots,
Je suis d'entre les pages,
Mes faces sont lisses, irisées,
Mes bords sont écornés, déchirés et baillent.
Je passe d'une histoire à une autre,
aussi facilement que les mains qui m'y emportent.
Je ne vaux que par mon usage.

Je suis...
vous doutez?

La facilité que j'apporte a été achetée, parfois.
La facilité que j'apporte a été offerte, généralement.

J'ai un côté désuet.

je suis ...
vous trouvez?

J'ai navigué récemment de Pétropolis, à Guermantes,
de Paris à New York.
J'ai navigué récemment de Stephan à Marcel,
de Leo à Raymond.

je suis...
vous m'envisagez?

J'ai navigué récemment de Zweig à Proust,
de Mallet à Chandler.

je suis ... un marque pages.
vous m'en voulez?

samedi 10 avril 2010

une horloge dans des sacs


Un petit billet, juste pour saluer un anonyme.

Chaque matin ou presque, parfois le soir, je croise station Auber une de ces ombres qui se dessinent sous ces initiales cinglantes "S D F". Une de ces ombres masquées par ces appellations rassurantes qui ne contrôlent que nos appréhensions: "marginal", "paumé", "scotché", "fou" ,"décalé", "débile", "loque".
Chaque matin, certains soirs, je croise cet homme et ses sacs, station Auber, aux pieds des escalators, à l'entrée des tapis roulants.
Qui est cet homme? lui-même le sait-il?
Comment est-il?
Moi-même qui le croise presque tous les jours, parfois certains soirs, je serais en mal de le dire.
Une cinquantaine usée. Il est encore brun. Flou. 1m70. Une cinquantaine élimée, un âge qui s'est fuit.
Une ombre futée finalement: elle sait se dérober aux regards.
Même pas un physique. Rien qui permette de le "placer" dans ma mémoire. Un âge indistinct. Des pieds qui traînent. Même pas une odeur.
Une courbe des épaules. Un effacement qui s'impose. Mais cette volonté, cet acharnement à respecter l'ordre et le rythme du déplacement de ses sacs.
Cette ombre du matin, de certains soirs, est toute entière absorbée par ces incroyables, improbables sacs.
IL a 6 sacs. Gros. Ventrus.
Remplis pour certains d'autres sacs, pliés.
Remplis pour d'autres de journaux, pliés.
Remplis, tous, de choses dont le sens qu'IL y attache m'échappe.
Remplis de ce qui fait sa "place", son "ordre".

Il les déplace 3 par trois, dans un mouvement qui lui appartient.
Il a défini au fil du temps son espace et sa place.

A force de tâtonnements, il a trouvé son rythme, le découpage des journées, le temps qui pour lui a du sens.
Au milieu de la cohue pressée et égotiste, il place ses sacs.
Trois sacs aux pieds de l'escalator , au milieu.
Trois autres sacs pendus à ses bras qu'il transporte en haut de l'escalator. Il va les poser à une place très précise. Toujours au milieu du flux des "pressés" anonymes que nous sommes, nous qui ne déplaçons que nous, nous les "sans sac".
Il va les poser, trois par 3, entre nos pattes.
Puis, il fera le chemin arrière pour aller chercher les trois autres sacs.
Il les montera en haut de l'escalator, à côté des premiers autres.
Il goûtera alors cette harmonie retrouvée: tout son monde, toute sa galaxie de sacs recomposée, plantée au milieu de la cohue. Il ne verra pas les passants pressés qui s'agacent de ce détournement imposé. Il n'entendra pas leurs bougonnements.
Puis il déplacera légèrement trois sacs. Pas forcément les mêmes.
Il prendra un temps infini à repositionner ces 2 groupes de trois sacs. Il retouchera leur alignement, ajustera l'espace entre les 2 groupes de trois sacs.
Il construira une nouvelle composition, de celles que lui seul comprend.

A cet instant précis, il est maître de l'équilibre, roi de sa galaxie
A cet instant précis, il est celui qui définit l'équilibre.
Puis, il prendra trois sacs. Les déplacera jusqu'au prochain point. Et cela se reproduira toute la journée.
Mètre après mètre.
Recomposition des lots de trois sacs, après recomposition des lots de trois sacs.
Trébuchements et détournements des "pressés", après trébuchements et détournements des "pressés".
A vrai dire, je ne le croise que le matin et parfois certains soirs.

Pourtant cet anonyme d'Auber, cet homme aux sacs, cette silhouette, IL me touche.
Combien connaissons-nous de personnes qui chassent cette lubie, cette chimère qu'est le découpage régulier du temps?
Mon homme au sac est un inventeur.
Mon temps à moi n'est pas calibré. Le souvenir d'un instant prendra des heures, des années passeront comme un souffle, le moment présent peut rester suspendu.
Le temps se définit par ce qu'il permet.
Cet homme aux sacs a défini le temps très minutieusement Il a son algorithme, son équation parfaite à aucune inconnue, composée de mètres, du poids et de la couleur des sacs et même de l'agacement des "pressés sans sac".
Il a mon attention et mon respect.
Il a mes excuses de l'avoir évité sans tact. Il a mon admiration face à sa détermination.

Son horloge semble folle, faite de distances, de poids, de couleurs et de bruits.
Mais son horloge est forcément juste: son temps n'a pas de comparaison, il est unique.

Voici finalement mon salut: cette ombre que je croise tous les matins, certains soirs, cette ombre mangée par la silhouette de ses sacs, cette ombre m'est familière et me touche.
Son temps m'est accessible.
Merci à lui

jeudi 8 avril 2010

Promeneuse Et caetera

Je n'aime pas les inter-saisons.
Elles durent sans fin, ne ressemblent à rien, ne se justifient que parce qu'elles ne sont plus ou ce qu'elles ne sont pas encore.
Ces inter saisons sont fatales pour mon moral et ma vitalité. Elle sont plus que fatales à ma bonne mine et à la topographie de mes cernes, rides et autres affaissements cutanés (dixit Galenic, Clarins, etc).
Mais, il faut le reconnaître, les inter saisons sont propices aux balades interminables, et elles sont bougrement photogéniques.
Il reste possible de marcher des heures sans avoir des ampoules plein les orteils, ni les mollets comme des poteaux.
Il est possible de marcher des heures sans avoir le pore dilaté et luisant, l'aisselle auréolée et les reins humides de sueur âcre mais encore parfumés de ces flacons hors de prix (suante mais parisienne que diable!).
Bref,
Ces inter saisons me crèvent littéralement, mais elles ont quelques séduisants avantages pour les promeneuses.

Elles permettent mille choses.
S'inviter par effraction dans les rêves assommés d'un dormeur des tuileries. Lui voler ce moment. Mais le faire sur la pointe des pieds. Shtttttttttttt. Il rêve si lourdement. Il est si profondément enfoui, si visiblement enfuit.









Elles permettent mille choses.

Retrouver les émotions du manège. Jardin du Luxembourg. Un carrousel. Des cheveux de bois, une potence avec des anneaux. Un dragon qui veille.
Les parents font la haie. Les forains font las paons. Les enfants ne savent pas encore qu’ils jouent.
Viser l’anneau. Attendre ce petit miracle. Arriver à chopper ce fichu anneau avec ce bâton ridicule Attendre juste le plaisir de ce « clac » marquant l’enfilage de cet anneau minable sur ce bâton affligent. Attendre et chercher ce petit « clac », bien plus que ce ticket gratuit.

Elles s'autorisent mille choses.
Le WE est prolongé. Pâques, résurrection et chocolats.
Les images se carambolent.
Un jour au Luxembourg, un passage aux Tuileries, des soirées fêlées et touchantes. Et d’autres jours. Du rab. Des moments inattendus.
Et à l’inattendu tout est permis.

Un après-midi au père Lachaise.
La lumière est belle. L’humeur pas définie.
Quelques pensées stériles, des idées de rien, sans fin, sans faim… je suis trop confortable.
Imagnons que je sois totalement là, vivante. Imaginons que sur nos peaux le soleil de printemps réveille autant de reflets que sur les granits, sur les veines de ces pierres.
Imaginons que la pierre et la chair se conjuguent.
Cette balade au père Lachaise a été une belle parenthèse. Belle et sans utilité.
Je demeure désœuvrée, désemparée, interdite, entre les allées, entre les tombes.
Les idées se brouillent. Un genre de reflet indistinct sur les pierres polies.
Je me regarde dans le granit: il est souhaitable que j'aménage, que je prépare mon dernier tour. Pas tout de suite... mais tout de même.
Le temps joue de ces tours! J’ai déjà abusé de la patience du grand ordonnateur.
Et même si ce n'est pas encore pour tout de suite...il faut que je me charge du volume que je souhaite avoir quand je serai « out of order » (qualificatif qui me sied déjà assez bien, parfois!).

Ces chers carabins ont déjà joué de leur métronome. Je suis déjà asynchrone. J'ai la chance de le savoir.
J’en déduis qu’il me reste des milliers de secondes, des centaines d'heures, des dizaines de minutes, des souffles de secondes, des soupçons de vie.
Il me reste une place à moi. Voir un strapontin.

Il me reste un strapontin. Il me reste un rideau pourpre, une scène, un côté cour et un côté jardin. Il me reste un théâtre, un répertoire, une troupe de cabots et des litres de démaquillants, des masses de maquillages gras, collants, obstruants. S'il me reste l'espace d'un faux-cil, il me reste alors la perception des détails, des souffles et des ombres.
Il me reste ce rythme des balades, des promenades.
Le rythme des contre pieds.
Il me reste l'accesssoire Tout l'accessoire: les lalalère et quelques 20 cm de doc sur les concessions à perpétuité (sic…).

Dans un détours de ces balades,

Un clin d’œil encore vif aux silences de sarcophage,
RIP dear and kind regards,

the best 4 U